Le paradis, il faut l'avoir connu
Pour le pouvoir encore perdre.
Heureux ceux, qui, comme nous,
Ne l'ont jamais connus
Car ils ne pourront jamais le perdre.
Trompés par Satan,
Qui, déguisé en serpent,
Les tentèrent du fruit défendu.
Satan leur dit: Mangez et vous verrez !
Ils mangèrent le fruit de la Connaissance,
Et furent chassés de tout ce qu'ils avaient,
Auparavant, connus.
La pomme avait un goût délicieux
Eve croqua en première dedans
Puis la donna à Adam
Qui, lui aussi, fut tenté
Et y croqua à pleines dents.
L'instant d'après,
Ils furent perdus
Au calme de l'inexistence
Et furent gagnés
Aux fracas de l'existence.
Croyant, jusqu'à prèsent,
Être le soleil de l'univers
Ils chutèrent dans le chaos des Enfers.
En acquérant la connaissance
Ils en acquirent l'inconnaissance,
Et gérèrent leur reste de vie
Aussi bien que le leur permettait
Leur notoire incompétence.
Chassés de l'Eden,
Ils ne connurent plus que peines
Ils eurent froid
Et se parèrent de laines.
Ils se sentirent nus
Et se couvrirent de chaînes.
Adam se fit nommer roi
Et fit d'Eve sa reine.
Commencèrent alors
Romances et violences,
Dans ce monde de haines et d'errance.
Celui par lequel tout fut,
On n'en parla jamais plus,
Son Nom n'est jamais évoqué
De peur d'être, à vie, damné.
Dieu les chassa du paradis,
Et, depuis ce jour fatidique,
Ils, en vain, cherchèrent
Paix et recueillement sur terre,
Dans les cieux et sur mer,
A présent, nous, misérables héritiers
Du premier homme et de la première femme,
Nous vivons dans un monde sans monde,
Des jours sans jours et des nuits sans nuits
Des jours de nuits sans jours,
Et des nuits de jours sans nuits.
Nous vivons à présent un temps sans temps,
Ressentons des sentiments sans sentiments
Dénués de tout affect et boniments.
L'enfer, mon cher ami,
L'enfer, ce n'est pas les autres,
Mon cher ami, l'enfer, c'est nous !
Croyez-moi, le paradis, aussi, était enfer,
Un enfer d'ennui, de silence et d'absence.
Sans querelles, ni passions, ni désirs,
Que béate platitude et plénitude,
Magnitude et terne mansuétude.
Honte aux dieux,
Qui nous ont laissé, nous,
Pauvres êtres perdus,
A la merci du diable et de ses tentations,
Qui tenta et trompa la femme,
Lui offrant le fruit défendu.
Et Adam, n'osant contrarier la belle Eve,
Goûta aussi au fruit défendu,
Préférant tout perdre,
Même un Paradis
Afin de ne pas la perdre, Elle, l'Eve,
A tout vouloir gagner à tout prix,
L'Eve et le Paradis,
Ils finirent par tout perdre à tout jamais,
Eux-mêmes tout aussi niais.
Ceux qui, comme nous, sont nés en enfer
Et qui n'ont connus que cela,
Doivent bien y croire comme fer,
Que leur enfer vaut bien tous les paradis.
Tu leur as donné la liberté,
Que voulais-tu qu'ils fassent
De ce qui n'était point pour eux.
Ils en ont fait ce qu'ils ont pu,
Faire du paradis un enfer,
Et de l'enfer, un paradis.
Peu importe où nous allons,
Et quoique nous fassions,
Notre enfer, toujours,
Avec nous, sera retrouvé.
© 2008 Marwan Elkhoury