Saturday, 9 August 2008

Comme je n'ai plus quinze ans

Comme je n’ai plus quinze ans,
Je ne peux plus sur la plage encore mouillé
Lézarder sur les vagues qui me bercent de soleil
Je me sèche en courant pour me mettre à l’abri
Sous un recoin de pierres, à l’ombre de la vie.

Le temps ne me porte plus, je ne le porte plus non plus,
Voir le temps qui passe sans passer par moi,
Tout en pensées pour d’autres et nulles pour moi.
Se perdre et s’oublier, ne rien faire de son temps,
Il passe en me passant et je passe en m’oubliant.

J'entraîne ma vie dans des escaliers inexistants
Pour ralentir la marche inexorable du temps.
Mais le temps n’a pas le temps
Et mes pas s’amenuisent faute d’avancer à temps.

Le cerveau s’endort, le corps se défait,
Mes froideurs me froissent et le temps me ride.
Mes yeux se voilent, mon cœur se fatigue,
Je ne fais plus l’amour ni l’amour ne me fait.

Après les grandes ascensions de mes vertigineux quinze ans
La fatigue de mes vieux os maintenant
Dans la fatigante descente du crépuscule de mes ans
Transporte mes blessures au cœur de mon temps.

Je suis las,
Le vague malaise de me retrouver là,
En exil de moi et des liesses,
Loin du pays de ma jeunesse,
La volupté du sommeil sans stress,
Les rêves qui s’estompent,
Le réel qui se trompe.

L’espérance de vie est si bernée
Qu’elle laisse bien de la place à l’amertume d’un soleil brisé
Toute l’horreur du monde, toute la nausée
Remonte à la surface comme un plat mal digéré.

L’existence de moins en moins crédible me paraît
Sans trop donner d’apparence à la mort
Je me situe dans l’entre-deux des désespérés
Dans une tiède contemplation des êtres et des formes.

Je n’ai plus ni famille ni compagnie,
Et c’est aussi bien comme ça,
Si tristement agréable de se retrouver sans ça.

Tout me devient indifférent
Le sexe, les femmes,
Le travail, le vin, le soleil et l’argent.

Quand les bruits du monde se sont tus
Et les feuilles d’automne envahissent le rire,
Alors dis-moi, pardi, quel âge as-tu ?
Je n’ai plus l’âge de te le dire.

Comme je n’ai plus quinze ans,
Le sourire se fait rare. Il se fige dans un sévère rictus
Comme des détritus de l’âme qui tombent en épluchures
Que le temps balaie pour laisser place à d’autres raclures.

Comme je n’ai plus quinze ans,
Tout est déjà passé car tout s’est déjà passé.
Et lorsque vient l’heure de s’effacer
Tout se passe bien car tout est déjà bien passé.

Comme je n’ai plus quinze ans, je n’ai plus
Que passé, sans avenir non plus, je n’ai plus,
Je n’ai plus, je n’ai plus qu’à passer.


© 2008 Marwan Elkhoury

2 comments:

helenaki said...

Donne-toi au temps sans fermer les yeux, offre-toi comme une vierge consentante, et le temps te regardera dans les yeux, et fort de cette intime communion, entrainé dans sa valse tourbillonnante,
tu oublieras qu'il t'emmène vers des frontières ou toi seul peut passer..
Laisse-le te posséder et tu le posséderas...
Magnifique.

Ln

Marwan Elkhoury said...

Un grand merci très très tardif pour ce beau commentaire ... qui en dit tant en si peu de mots. Merci, un grand merci.