Sunday, 31 August 2008

Le temps

Le temps passe et ne repasse pas.
Quel est ce temps qui passe et qui ne repasse pas.
Et si je passais, passerait-il ?
Et si je ne devais pas passer, m'attendrait-il,
Ou repasserait-il ?

Enfin, si c'est pour passer et ne pas repasser,
Ou, pour ne pas passer pour repasser,
Au fond, pourquoi, du tout, passer !

Si je passais plus vite, passerait-il plus lentement,
Ou, si, plus lentement, je passais, passerait-il aussi plus lentement.

Au fond, comment passe-t-il son temps,
Quand je le passe de temps en temps,
Ou tout le temps.

Passez-moi donc l'expression.
Je me passerai bien, moi aussi, de toute expression.

©2008 Marwan Elkhoury

Friday, 29 August 2008

Règle singulière du pluriel

Ils étaient deux, ils étaient nus,
Ils étaient jeunes, ils avaient bu,
Ils étaient ce que je n'étais pas,
Ils étaient ce qu'ils n'étaient pas.

Il faisait nuit, il faisait froid.
Ils dansaient libres une valse sous la lune
Batifolant impudemment sur la dune
Je les regardais, plein d'amour et d'effroi.

Le jour se leva, le ciel rougit.
Ils coururent se réfugier dans la grange,
Pour se mettre à l'abri de l'étrange,
Je ramassais mon âme et la refermais sans un pli.

©2008 Marwan Elkhoury

Wednesday, 27 August 2008

La Muse Eclatée

Tu m’aspires dans ton sein et m’inspires ce poème,
Tu m’attires dans tes yeux, et me foudroies de tes peines.
Tu paralyses mon inspiration, la remplaces par la tienne
Je prends ta voix et j'en fais une folle antienne.

Tu n’aimes qu’à aimer et être aimée
Tu me donnes l’amour sans la liberté de m’exprimer.
Tu veux la liberté et l’amour,
Mais tu me lies à toi et me laisses sans liberté.
Qu’est-ce que l’amour sans la liberté
Et la liberté sans l’amour.
Je revendique l’amour de la liberté et la liberté de l’amour.

Je suis ton ami. Tu te joues de mes faiblesses
Tu me fais peur par ton amour et me fait fuir de t’aimer.
Tu es la finesse, moi, la lourdeur.
Tu es la vie, je suis la mort,
Tu es la beauté de ma laideur,
Et moi, la laideur de ta beauté.
Mais l’un sans l’autre, nous ne sommes rien,
Et l’un dans l’autre, serions-nous si bien.

J’ai besoin de toi autant que tu as besoin de moi.
Je ne suis rien sans toi. Tu n’es rien sans moi.
Nos sorts sont liés ; tu vivras avec moi et tu mourras avec moi.
J’ai besoin de toi pour cristalliser mon imagination
Et toi pour imaginer mes cristallisations.
Mais lorsque je ne t’ai plus, je ne peux plus écrire
Et lorsque je t’écris, je ne suis plus épris.
À moins que, sur ton corps, je n’écrive mes lamentations
Et sur ta chair mes sensations
Mes mots deviennent des caresses,
Mes virgules te laissent des paresses,
Mes traits te donnent des chancres,
Et dans ton sang je plonge mes encres.

De ma plume, je te choie,
De mes doigts, je te broie,
De tes caresses, je me noie,
Et déroule ma plainte d’élève aux abois.

Comme un enfant gâté, avec son nouveau jouet,
Je te lance en l’air pour te faire éclater
En mille morceaux, chaque morceau s’éparpillant en mille autres morceaux.
Je sors de la chambre sans un regard
Pour ce désastre, que je balaie d’un coup de tête.

Muse, ô ma Muse, je voudrais t’aimer que je ne pourrais,
Ce n’est que lorsque tu n’es plus que je peux enfin être,
Tu t’amuses à me cajoler, je t’aime à me détester
Ta chevelure abonde d’un parfum de paradis,
Qui m’enchante à te chanter une ode pourrie.

Tu vis avec qui tu ne voudrais pas,
Moi, le poète sans illusions,
Ne pouvant être avec qui tu voudrais être,
Le Baudelaire des Fleurs du Mal ou le Rimbaud des Illuminations.

Voilà que je te dégoûte.
Je te rappelle que je ne suis rien sans toi, ni rien avec toi,
Qu’un vulgaire scribouilleur jouant au poète que tu déboutes.

©2008 Marwan Elkhoury

Le cerf-volant


Tu étais libre comme un cerf-volant,
Pour voler au gré du vent,
Tu bafouais frontières et tensions territoriales,
Comme tu te moquais bien des querelles paroissiales.

Comme l’amour d’ailleurs, que ni les fils de fer barbelés,
Ni les chars ni les postes de guet,
Plantés par des hommes écervelés,
Pour protéger la haine, ne peut arrêter.

Tu te riais bien, Randa, des lois désuètes,
Nous montrant bien que la guerre n’est pas qu’affaire d’infidèles,
Et les civilisés, pas ceux que l’on pensait.

Pas à pas, tu as fait ton chemin, dans le chemin de la guerre,
Pour t’élever, au-delà de la tragédie, dans notre comédie humaine,
Celle des hommes et des femmes de la terre,
Ballottés par nos guerres imprudentes de politiques perfides,
Comédies parfois loufoques, mais toujours sordides,
Celles où a trop longtemps règné la bêtise humaine.

Nous t'attendions avec impatience pour ton prochain film,
Qu’il n’y pas longtemps encore, tu nous avais annoncé.
Mais en partant comme cela, tu nous laisses sidérés.
Sans un bruit, sans un signe, nous restons sur notre faim,
Et, sans plus un mot de toi, il va, en réalité, nous manquer,
Maintenant et pour toujours, le clap de la fin.
Silence, on ne tourne plus.

©2008 Marwan Elkhoury

Saturday, 23 August 2008

La jeune fille et la mort


Un jour, la mort, dans sa rituelle ronde matinale,
Cueillant de merveilleux lys, à frêles pétales,
Rencontra une belle jeune fille qu’il aborda timidement,
Mon dieu, comme vous êtes belle, lui dit-elle, en rougissant,
Et la douce et belle créature de répondre,
Mon dieu, vous m’avez fait ombre.

Désolé, demoiselle, là n’était point mon intention.
Je ne faisais qu’un petit tour dans le jardin des tentations.
Et pour vous consoler de votre frayeur,
Voilà, ces fleurs sont à votre intention.

Je vous remercie mais ne puis accepter un tel présent.
Ce n’est rien, demoiselle, en l’acceptant,
Vous me faites un plaisir bien plaisant.
C’est trop gentil, je suis votre obligée, à présent.

Oh, Madame, je vous en prie, c’est moi qui le suis pour vous.
Je suis vieux, je suis laid, je suis à vous,
Vous êtes jeune, vous êtes belle, vous avez la vie devant vous,
Moi, je l’ai derrière moi, et le monde est à vous,
Je pars, à présent, et n’ose m’attarder près de vous,
De peur qu’on ne me surprenne à vos pieds
Et que vous commenciez à m’aimer,
Sentiment qu’à mon âge, je ne saurais supporter.

Est-ce que je vous dégoûte tant pour que vous partiez
Si précipitamment. je vous en prie, ne partez pas, restez,
J’ai comme quelque chose à vous dire. Je n’avais,
Au contraire, Madame, nulle intention de partir,
C’était juste, à vos égards, une formule pour vous ravir,
Afin que vous m’obligiez près de vous,
Et si j’en oublie mes soucis des enfers, je veux dire,
Ce n’est pas tous les jours que je fais de si belles rencontres, rassurez-vous.
Aux enfers, ils sont ternes et poussière.
Que voulez-vous que j’en tire, comme conversation au petit-déjeuner.

Cher ami, ne partez pas, Ou prenez-moi avec vous.
J’en ai assez de ce monde. Il n’est pas fait pour moi.
Madame, c’est profanation, comment osez-vous
Tenir un tel discours devant moi.
Je vous en prie, j’en ai assez de cette vie, Je m’en fous,
Je vous aime, c’est vous que je veux épouser
Non pas mon imbécile d’amant transi de froid à vous faire fuir.
Madame, je vous en prie, je suis votre obligé, je ne puis plus me dédire.
Suivez-moi, allons de l’autre côté des pleurs et du rire.

Amour et mort font bon ménage,
L’amour, de la mort, est l’otage.
Les deux pôles d’un même voyage.

©2008 Marwan Elkhoury
©Peinture par Henry Lévy, Musée des Beaux-Arts de Nancy, courtesy: Wiki Commons

Thursday, 21 August 2008

Il y a il n’y a pas

Kana ma kan fi kadim el zaman ...
Il y a il n’y a pas et cela depuis fort longtemps,
Un prince charmant
Qui tombe fort amoureux de sa belle au bois dormant.
Voilà comment, ici et là, commencent et finissent toujours nos histoires,
Sans début ni fin, sans problèmes ni histoires.

Les contradictions ne sont jamais résolues,
Les conflits non plus,
Sans pour autant empêcher que le prince charmant,
À la fin du conte, ne se marie avec la pauvre mais belle et jeune infantile,
Transformée, au détour d’un baiser furtif pré-nubile,
En princesse toute aussi charmante.

Contrairement à l’occident qui prétend tout résoudre sans rien résoudre,
L’orient ne résout rien sans rien découdre.
De ces deux méthodes, qui a tort, qui a raison, quelle bourde.
L’occident avance sur un orient qui recule
La réponse est peut-être ridicule.

L’un avance vers un je-ne-sais-quoi ou un je-ne-sais-où,
Tandis que l’autre recule vers un je-ne-sais-quoi ou un je-ne-sais-où.
Se retrouvent-ils quelque part dans la sratosphère ou dans le temps, tout à coup,
Ou se perdent-ils tous les deux, à bout,
Dans une valse à deux temps, séparés à tout jamais, sur le coup.

Sans réponses à ces questions ni résolution du dilemme,
Mais, qu’à cela n’y tienne,
La vie continue comme elle a commencé,
Cahin-caha, un pied devant l’autre à peine divorcé,
De générations en générations, de bataillons en bataillons,
De conflits en conflits, de pertes en profits,
Un pas qui tienne l’autre qui traîne,
Un prince charmant et sa belle traîne,
Ils vivent longtemps, ils sont heureux,
Et font beaucoup d’enfants malheureux.

©2008 Marwan Elkhoury

Wednesday, 20 August 2008

Tous les jours que dieu crée je crée


Tous les jours que dieu crée je crée
Des dieux, des diables, des anges, des elfes et des fées
Rien à voir naturellement avec ce que dieu crée
Moi, je crée le verbe à l’aide de chimères,
D'idées, de pensées et d'arbitraire,
Qui n’existent que dans et par mon esprit,
Et dans celui qui, accessoirement, me lit
Mais, pour moi, tout cela est plus que ce je-ne-sais-quoi
Que tout ce qui festoie autour de moi.

Je peuple mon âme de corps et d’esprits évanescents
Avec qui je cohabite en plus étroit milieu
Que n’importe qui ou quoi d’autre sur terre, sur mer ou dans les cieux.
De mes rêves, plus que dans le réel, j’ai foi
Le réel est purement imaginaire pour moi
Celui que je sens n’est pas celui qui est
Celui que je pense est celui qui est
De mes élucubrations, je fais ce que je vois,
Je décide qui fait quoi
Quand où et comment
Je les contrôle du premier instant à leur dernier éblouissement,
Je vis avec eux en plus grande intimité que tout le reste
Car elles sont pour moi plus vrai que tout ce qui reste.

Que faire encore de cette putain de réalité
Plus triste que la plus triste des plus tristes
Plus irréaliste que la plus irréaliste des irréalistes
Je l’habille de brillantes absurdités
D’organdi et de somptueux manteaux damassés
Je la maquille de fond de teint bleu d’or et de futilité
Je la couche sur un magnifique tapis fleuri d’Ispahan
Et la baise sur des coussins de soie d'Astrakhan
Comme une jeune endormie d'un bordel afghan.

Elle peut renâcler je n’en ai que faire
Je la couvre de bijoux pour mieux la faire taire
Je la traite comme la première de mes pairs
Et la noie de prouesses et de bien de larmes éphémères.

Et lorsque le tout pour le tout est joué
Je m’arme de plumes et de papiers
Invente une ode à la dévouée
Et lui tisse une magnifique parure dorée.

Ah que les jours sont tristes
Et les poètes schismatiques
Pour décrocher des piques
A ce monde de mystifications mystiques.

©2008 Marwan Elkhoury

Tuesday, 19 August 2008

La vérité c'est le mensonge

La seule chose de vraie, c'est ce qu'on imagine.  Tout le reste est faux, la réalité, en premier lieu, dixit moi.
La vérité, c'est le mensonge; et rien de plus vrai que le mensonge, dixit moi aussi.

Vivre de poésie et d’eau claire

Je ne sais plus l’heure qu’il fait ni le temps qu’il est,
Je ne sais plus quel jour du jour ou de la nuit je suis;
Mes jours sont aussi sombres que mes nuits
Et mes nuits ressemblent étrangement à mes jours.

J’entends ce qu’on me dit sans rien comprendre à ce que j’entends
Et ce que je lis n’a plus vraiment de sens
Comme si une langue étrangère ma langue maternelle m’était revenue
Histoire de ne pas passer pour un étranger chez soi
De faire comme si j’étais d’ici alors que je ne sais plus d’où je suis,
Etranger chez moi plus que chez les autres.

Ils me construisent des mondes qui ne sont pas pour moi
Suivant des idéologies complètement dépassées
Comme sont toutes les idéologies faites sans moi ou avec moi
Comme tout ce qui est pensé est déjà dépensé.

Je vis de poésie et d’eau claire
Comme on ne vit ni d’amour ni d’eau fraîche.
Je vis donc sans vivre
Le plus clair de mes ruines et de mes rives.

©2008 Marwan Elkhoury

Monday, 18 August 2008

Le clown


Le clown, sous son chapiteau de PVC azuré,
Marionnette bigarrée, toute de jaune et de rouge, habillée,
D’immenses chaussures rouges, il était chaussé.
D’un petit avion à hélices, il descendit du ciel pour atterrir sur scène,
A coups de cymbales, tambours et sirènes.

En un tour de main il fit des tendres bambins
Des animaux sauvages, tigres, lions, hyènes et babouins,
Leur fit boire d’émoustillants breuvages,
Et les fit danser autour d’un feu de mirages.

Aux sons stridents des trompettes dorées,
Au rythme d’une musique de cirque endiablée,
Il guida sa petite troupe d’enfants barbouillés,
Courant, criant, piaillant allègrement,
Tout droit vers une descente escarpée.

Un à un, deux à deux, trois à trois,
Se poussant, se chamaillant et se marchant dessus,
Libres enfin de l’apesanteur,
Les enfants sautèrent le talus,
Et s’élancèrent dans les airs comme des oiseaux de proie.

Ayant généreusement fait entendre leurs applaudissements,
Les parents, sortis de leurs béats ébahissements,
Coururent vers la sortie retrouver leurs enfants chéris,
Et, à leur grande stupeur, ne découvrirent que des corps endoloris.

Il faudrait une morale à cette sordide histoire
De peur qu’on ne m’accuse de vices troubles et cachés.
La morale aux enfants de cette histoire,
C’est à suivre un quelconque quidam, même un stupide clown, les yeux fermés,
On risque fort, d’une partie de rire, finir dans un décor, quelque peu défigurés.

@2008 Marwan Elkhoury
©2008 Dessin Dounia

Saturday, 16 August 2008

Ce ne sont pas les mots que l'on dit qui comptent


Je griffonne à la va-vite sur un papier quelques notes éparses pour encrer ma dérive.
La route que j'emprunte n’est pas celle que j'ai choisie
Et je n'emprunte pas celle que j'ai choisie.

Ce que j’aurais voulu dire, je ne le dis pas,
Et ce que je dis, je n’aurais pas voulu le dire.
Ce ne sont pas les mots que l’on dit qui comptent, mais ceux que l’on ne dit pas,
Ce n’est pas ce que l'on écrit qui compte mais ce que l'on n'écrit pas,
Ce n’est pas ce que l’on voit qui compte, mais ce que l’on ne voit pas.

Celle que j’aurais voulu connaître, je ne la connais pas,
Et celle que je connais, je n’aurais pas voulu la connaître,
Ce que je fais n’est pas ce que j’aurais voulu faire,
Et ce que j’aurai voulu faire, je ne le fais pas.

Ce n’est pas ceci qui compte ni cela,
C'est autre chose, et autre chose encore, et toujours autre chose,
On nous parle de ce qui est comme si cela était,
Et de ce qui n’est pas comme si cela était,
Mais ce qui est n’est pas,
Et ce qui n’est pas n'est pas,

Mais alors,
Que faisons-nous ?
Que disons-nous ?
Qu’entendons-nous ?
Où allons-nous ?
Je ne sais pas. Probablement nulle part.

Nous marchons dans une nébuleuse de fausses paroles involontaires,
Dans un brouillard d’intentions, de non-dit et de non-fait,
D’un crépuscule à l'autre,
D’un désastre à l’autre.
Et nous faisons comme si,
Comme si tout cela était normal,
Comme si c’est cela que nous devions faire,
Sachant pertinemment bien que ce n’était pas cela,
Que ce ne serait jamais cela.

Mais que faire, à part jouer le jeu,
Ou notre part de rôle dans le jeu,
Un rôle que nous improvisons à l’instant du jeu,
A la recherche de nous-même,
Aveuglés pas l’obscurité de notre être et du non-être,
A la limite du tolérable et de l’intolérable,
A la limite de l'acceptable et de l'inacceptable,
A la limite de la raison et de la folie,
A la limite du plein et du vide,
Attrait de l’en-deça et de l'au-delà,
Bouclant la boucle du tout au rien,
Et du rien au rien.

©2008 Marwan Elkhoury

Friday, 15 August 2008

Le roi et son valet

Un jour, le roi appela son valet et lui dit :
Valet, es-tu content de ton sort,
Oui, Majesté, ma vie est de votre ressort,
D’être à votre service comble ma vie.

Parfait, rétorqua le roi.
Je t’ordonne à présent d’échanger nos vies,
Je serais valet et tu seras roi.
Mais, Sire, rétorqua le valet,
Je suis valet et vous êtes roi.
Tout est selon mes envies.
Je suis le temps et la vie.
Tu seras roi. 
Je serais toi,
Pour un bout de temps seulement.
Mais, sire ! J’ai plaidé.

A partir de ce jour, le valet-roi décidait du sort de ses sujets,
Jour après jour, nuit après nuit.
Un jour, le roi-valet vint voir son valet-roi et lui dit :
Sire, je suis content de votre règne,
Mais votre règne prendra fin cette nuit.
Il est temps que je reprenne les rennes
Et que vous repreniez les sept-fois-huits.
Au valet-roi de lui répondre :
Mon cher valet, à présent, c’est moi qui décide et non plus vous.
Au moindre signe de révolte, je vous jette au trou.
Mais enfin, s’exclama le roi, vous êtes encore et toujours mon sujet.
Détrompez-vous, cher valet, vous êtes à présent mon sujet,
Et plus pour longtemps, j’en suis bien effrayé.

Aussitôt dit aussitôt fait,
Le valet-roi expédia le roi-valet aux galères
Toute opposition fut étouffée en un éclair.
Le roi mourut, loin de ses sujets,
Seul, malade, ressassant ses misères.

©2008 Marwan Elkhoury

Thursday, 14 August 2008

Isomorphismes Amoureux

Je t’aime mais tu ne le sais pas encore
Je t’aime mais tu ne le sauras jamais
Je t’aime mais tu ne m’as jamais aimé
Alors pourquoi t’aimerais-je si tu ne peux pas m'aimer.

Je t’aime sans raison,
Je ne sais ce qu’est aimer
Je ne sais qui j’aime en toi
Je ne sais ce que j’aime en toi
Mais je sais que je t’aime et c’est tout ce qui m’importe.

Je t’aime sans te connaître
Qu’en aurais-je du pourquoi, du comment et du parce que
Si je savais pourquoi je t’aimais
Continuerais-je encore à t’aimer
Si je savais ce que j’aimais en toi,
Continuerais-je à t’aimer
Si je pouvais t’aimer t’aimerais-je encore
Qui le sait et pour combien de temps encore.

Je t’aime parce que je ne te connais pas
Je t’aime parce que tu ne m’aimes pas
Et si je te connaissais, t’aimerais-je encore
Peut-être pas.

Amour et connaissance sont-ils compatibles
L’amour est aveugle et la connaissance méconnaissance
J’aime ce que tu n’es pas
Si je t’avais je ne t’aurais pas
J’aurais celle que je pense être toi mais qui n’est pas toi
Et si j’aimais ce que tu étais,
Tu ne serais plus ce que j’aime ou ai aimé
Déjà rien que l’acte de t’aimer altère ton identité
Et rien qu’en t’aimant, j’aurais aimé une autre que celle que j’avais cru aimer.

Je t’aime par hasard et pour mon malheur
En t’aimant je crois trouver le bonheur
C’est le malheur qui, en t’aimant, me rejoint à tout jamais
Celui de t’avoir aimé sans avoir pu t’aimer
Celui de toujours t’aimer sans jamais être aimé.

©2008 Marwan Elkhoury

Wednesday, 13 August 2008

Réconcilier l'inconciliable

Comment réconcilier
Le conciliable avec l’inconciliable
Ma vie avec la vie
Ma vie avec la mort
Comment concilier
Le fini avec l’infini,

Le fini finit dans l’infini.
La limite est sans limites.
Nous-mêmes, dansons-nous
Dans l’infini d'infinités d’infinis
Où sommes-nous,
Tout simplement, finis,
Maintenant et pour toujours.

Le nombre de nos permutations
A-t-il fini de finir ?
Finis que nous sommes,
Pouvons-nous toucher à l’un de ces infinis,
Transcender le fini pour l’infini
Et atteindre l'indéfini.

Je sais que je ne peux,
Quoique je fasse, ici et maintenant,
Incluant mensonges et fabulations,
Inventant paradis et dieux,
Réconcilier le fini avec l’infini
Ma vie avec ma vie.

Tout ce que je fais ici-bas
Est entièrement déterminé
Par la certitude de ma finitude
Et celle de ma mort.

J’aurai bien voulu faire,
Que je ne pourrais
Réconcilier le sensé et l'insensé
Ma vie avec ma mort
Ma mort avec ma vie
A vie
A mort.

©2008 Marwan Elkhoury

L'Amour du Triangle


Chaque fois que je pense à toi
Je me demande tu penses à quoi ?
Tu penses à lui ou à moi ?
Quoique je sois tu me laisses coi.

Chaque fois que je te voie
J’ai comme l’impression que nous sommes trois.
C’est comme chacun pour soi
Soit pour soi ou l’autre pour soi

Je t’aime pour toi non pour l’autre.
Tu m’aimes pour l’autre, non pour moi
Pourquoi alors être avec moi
Quand tu ne penses qu’être avec l’autre.

Dis-moi alors comment te sens-tu
Je te regarde tu ne m’aimes plus
Tu regardes ailleurs comme si je n’étais plus
Dis-moi que voudrais-tu
Que je sois ailleurs ou que je ne sois plus.


© 2008 Marwan Elkhoury
© Modigliani, "Nu Rouge", détail.

Tuesday, 12 August 2008

Paysage de pluie

Il pleure sur la ville
Comme il pleut dans mon coeur.
Quelle est cette langueur
Qui berce mon coeur.

Le jour est la nuit
Qui reflète l'ennui
D'une âme meurtrie
Et d'un coeur flétri.

La pluie joue des cordes
De ma tristesse qui déborde
Des heures sans démordre
D'une houle qui l'aborde.

Sans espoir ni bonheur
Voir l'espoir du malheur
Me combler d'horreur
Quand vient le bonheur.

Il pleure sur la ville
Comme il pleure dans mon coeur.
Quelle est cette peur
Qui me laisse sans coeur.

Le coeur a de la peine
De ne connaître sa peine
Croire qu'en la faisant reine
Il croira qu'il l'aime.

Il pleure sur la ville
Il pleure dans mon coeur
Tous deux pleurent en choeur
L'inconsolable rime du rêveur.

© 2008 Marwan Elkhoury

Monday, 11 August 2008

Poème avant le poème sans le poème

Désir de poème écrit de silences, du rêve de poésie, de pensées non encore pensées, de pensée du mot avant le mot, d'un bruissement d'idée du poème, d’images non imaginées, de chuchotements inaudibles, de désirs de cris avant le cri, de souffles, tantôt tranquilles, tantôt saccadés, de la pensée du vent dans les arbres, de la vague, suspendue, avant qu’elle ne s’écrase sur les galets.
Que l’idée du poème, avant le poème, n’est-elle pas supérieure au poème ? Alors, pourquoi encore le poème, s’il en altère l’idée, en réduit la pensée, en souligne ou en renforce les maladresses.
Non.
A tout cela, je me campe dans le non-dit, le non-poème, le poème d’avant le poème.

© 2008 Marwan Elkhoury

Saturday, 9 August 2008

Comme je n'ai plus quinze ans

Comme je n’ai plus quinze ans,
Je ne peux plus sur la plage encore mouillé
Lézarder sur les vagues qui me bercent de soleil
Je me sèche en courant pour me mettre à l’abri
Sous un recoin de pierres, à l’ombre de la vie.

Le temps ne me porte plus, je ne le porte plus non plus,
Voir le temps qui passe sans passer par moi,
Tout en pensées pour d’autres et nulles pour moi.
Se perdre et s’oublier, ne rien faire de son temps,
Il passe en me passant et je passe en m’oubliant.

J'entraîne ma vie dans des escaliers inexistants
Pour ralentir la marche inexorable du temps.
Mais le temps n’a pas le temps
Et mes pas s’amenuisent faute d’avancer à temps.

Le cerveau s’endort, le corps se défait,
Mes froideurs me froissent et le temps me ride.
Mes yeux se voilent, mon cœur se fatigue,
Je ne fais plus l’amour ni l’amour ne me fait.

Après les grandes ascensions de mes vertigineux quinze ans
La fatigue de mes vieux os maintenant
Dans la fatigante descente du crépuscule de mes ans
Transporte mes blessures au cœur de mon temps.

Je suis las,
Le vague malaise de me retrouver là,
En exil de moi et des liesses,
Loin du pays de ma jeunesse,
La volupté du sommeil sans stress,
Les rêves qui s’estompent,
Le réel qui se trompe.

L’espérance de vie est si bernée
Qu’elle laisse bien de la place à l’amertume d’un soleil brisé
Toute l’horreur du monde, toute la nausée
Remonte à la surface comme un plat mal digéré.

L’existence de moins en moins crédible me paraît
Sans trop donner d’apparence à la mort
Je me situe dans l’entre-deux des désespérés
Dans une tiède contemplation des êtres et des formes.

Je n’ai plus ni famille ni compagnie,
Et c’est aussi bien comme ça,
Si tristement agréable de se retrouver sans ça.

Tout me devient indifférent
Le sexe, les femmes,
Le travail, le vin, le soleil et l’argent.

Quand les bruits du monde se sont tus
Et les feuilles d’automne envahissent le rire,
Alors dis-moi, pardi, quel âge as-tu ?
Je n’ai plus l’âge de te le dire.

Comme je n’ai plus quinze ans,
Le sourire se fait rare. Il se fige dans un sévère rictus
Comme des détritus de l’âme qui tombent en épluchures
Que le temps balaie pour laisser place à d’autres raclures.

Comme je n’ai plus quinze ans,
Tout est déjà passé car tout s’est déjà passé.
Et lorsque vient l’heure de s’effacer
Tout se passe bien car tout est déjà bien passé.

Comme je n’ai plus quinze ans, je n’ai plus
Que passé, sans avenir non plus, je n’ai plus,
Je n’ai plus, je n’ai plus qu’à passer.


© 2008 Marwan Elkhoury

Friday, 8 August 2008

Le vent

Depuis combien de temps, depuis combien de jours,
Comment pourrais-je encore vous en dire le cours.
Depuis le temps qu’il souffle,
Je n’en ai plus ni science ni conscience.

Nous étions tous affolés
De ne plus pouvoir être encore
Quand le calme reviendrait
Et le vent ne sonnerait plus son cors.

Le village était tout tranquille,
Les hommes dans les champs, les femmes dans les chambres,
Les pères ahanants, les mères allaitant
Leurs bébés en pleurs,
Les récoltes en terre, les amandiers en fleurs.

Il vint soudain, sans prévenir, sans mugir
Sans que personne ne le vît venir
Il tenait déjà la place avant même qu’on ait pu la déplacer.

En moins de temps pour l’écrire, en moins de temps pour le dire,
Il souleva des nuages de poussière
Aveuglant tous d’un écran invisible,
Poussant son rugissement dans ses moindres recoins,
Affolant tout sur son passage.

Ils couraient dans tous les sens ne sachant où donner de la tête
Pour tenter de sauver ce qui aurait pu ne pas l’être
Tout en oubliant ce qui aurait pu l’être,
Bazardant tables, chaises et chandeliers par la fenêtre,
Les retrouvant dans le salon fracassés en mille pièces.

Les secours venaient, les secours repartaient,
Leurs gestes vides, leurs mains en plaies
Les maisons s’effondrant comme un jeu de cartes
Sur des humains pâlissant comme un jeu de tartes.

Il avançait sans blêmir ni coup férir
Balayant tout sur son chemin
Le vert et le sec, les vivants et les morts,
Les oliviers brisés, les fruits à terre.

Il y avait, il n’y avait pas
Depuis des temps immémoriaux qu’il soufflât
Sans jamais plus périr, sans jamais plus souffrir,
Un homme qui, une femme qui, un être qui,

Voilà comment finissent toutes ces histoires
Comme elles auraient toujours dû commencé,
Sans histoires ni déboires,
Si simplement que jamais on aurait dû en parler.

© 2008 Marwan Elkhoury

Wednesday, 6 August 2008

Hymne à la vie

Assis, sous le platane centenaire, comme eux,
Je me suis demandé mais de quoi parlaient-ils entre eux.
Des affaires courantes qui courent dans la brièveté de leurs vies
Des affaires pressantes qui pressent l’étau de leurs vies
Des affaires d’argent qui enrichissent le vide de leurs vies.

Assis sous le platane centenaire, comme eux,
Je les entends bavarder entre eux.
Les uns parlent de rien, les autres de tout.
Certains parlent certes, mais je ne sais de quoi,
D’autres ne parlent pas du tout, je ne sais pourquoi.
N’ont-ils rien à se dire ou ne veulent-ils rien dire du tout.

Ceux qui parlent, à vrai dire, parlent tous en même temps,
Criant à tue-tête pour mieux s’entendre pourtant
A qui les entends et pour qui ne les entends pas
Pour égayer une vie qui n’a plus rien de désopilant.

Assis sous le platane centenaire comme tous les soirs de leurs vies
Pour oublier tous les jours menés hors de leurs vies
Les misères au bureau, les rancoeurs au foyer
La monotone banalité du journalier,
Les refuges illusoires des rêves infimes.

Assis sous le platane centenaire, toutes les nuits de leurs vies
Pour s’exercer à mourir avant la mort pour de vrai
Vivre au jour le jour un ersatz de mort
Et se vacciner à vie contre la vie.

Assis sous le platane centenaire, comme eux,
Mais qui suis-je pour me mettre à la place de ces preux
Je ne suis qu’un bien piètre rêveur
Qui peut à peine imaginer son heure.

© 2008 Marwan Elkhoury

Tuesday, 5 August 2008

Comme c'est curieux, comme c'est étrange

Comme c'est curieux, comme c'est étrange
De voir l'esprit devenir archange
Trôner au-dessus des phénomènes contingents
Pour saisir l'insaisissable connaissance.

Comme c'est curieux, comme c'est étrange
De voir mon double se dédoubler
Dans le miroir de l'inconnaissance.

Comme c'est curieux, comme c'est étrange
De voir mon âme se voir choisie
Pour transporter des messages inaudibles
A des audiences illétrées.

Comme c'est curieux. comme c'est étrange
De voir mon corps porter haut l'incommunicable
Pour inventer de nouvelles lois et de nouvelles tables.

Comme c'est curieux, comme c'est étrange
De voir Moïse descendre du mont
Portant commandements et tableaux
Au peuple choisi par de malins dévôts.

Comme c'est curieux, comme c'est étrange
De voir l'être s'élever
Au-dessus du firmament
Et retomber si bas à si grand tapage.

© 2008 Marwan Elkhoury

Monday, 4 August 2008

Le spectacle du monde

Je contemple le spectacle du monde
Le flux et le reflux changeants des ondes
Et plus profondément à plaisir je me fonds
Dans la fiction congénitale des mensonges du monde.

Dieu est mort. Vive dieu.
L’homme est mort. Vive l’homme.
Le monde est mort. Vive le monde.

Comment suis-je encore si je ne suis plus.
A qui appartiens-je si je n’y puis plus.
Que ferais-je de ce que je n’ai plus
Quand tout ce qui fut ne sera plus.

Toutes ces choses sont sans importance
Elles sont, comme tout ce qui fait la banalité de la vie
Un bouquet de myrtilles et de grappes de fruits succulents.

Dormir, m’endormir, m’apaiser.
N’être plus que l’inconscience de ma conscience.
Respirer paisiblement,
Sans autre forme de procès
Sans âme, sans forme et sans pensées,
L'immensité de l’univers.

© 2008 Marwan Elkhoury

Friday, 1 August 2008

Exécution

Le préposé au service me fit passer par diverses salles
N'ayant ni le temps ni l'adresse d'admirer
Les très nombreux Rembrandt ni les non moins beaux van Gogh.

Il me conduisit dans la grande salle
Là où ils s'employaient à empaqueter les corps
Dans le froid crépusculaire des grands frigos ouverts.

Je comptais un à un les corps, de un à douze.
Pourquoi, m'exclamai-je, ne sont-ils seulement que douze ?
Nous vous attendions tous, noble maître,
Pour passer à l'exécution, ô très cher traître.

@ 2008 Marwan Elkhoury

C'était juste après la guerre.

C'était juste après la guerre,
Mon amour, te souviens-tu encore ?
Comment me souviendrai-je de cette ère,
Qui m'a plongée dans une pénombre obscure ?

Te souviens-tu de nos amours, chéri,
De nos amours chéris, ce dont je me souviens encore,
C'est qu'avant de faire l'amour, chéri, 
On faisait toujours la même prière,
Toujours la même prière, chéri.

Je ne me souviens plus, chéri.  Mais si, chéri.
On priait dieu qu'il nous gardât en vie,
On priait pour que si l'on restait en vie,
Que l'on puisse vivre heureux.

C'était juste après la guerre,
Te souviens-tu, mon amour ?
Non, je ne me souviens plus,
Mais quelle importance pour nous.

Je me souviens plus des balles perdus,
Traçant dans la nuit nue
Des fils d'or d'une tapisserie géante
Toute tissée de rouges et de menthe.

Je me souviens plus des bombes incendiaires
Brûlant villages et pauvres héres.
Je me souviens plus des bombes à fragmentation
Qui flashaient comme des films d'animation
Explosant aux visages d'enfants qui les jetaient en l'air.

Je me souviens des miliciens de dix ans
Qui jouaient à la guerre comme on joue aux méchants
Brandissant leur klachin dans les rues en riant
Embourbées de sang et de corps boursouflés
Et, après avoir vidé des chargeurs complets,
Partaient en riant comme après avoir tiré un bon coup.

Alors, quand, enfin, les tirs se sont arrêtés,
Alors quand les enfants-miliciens se sont retirés,
Alors quand les politiciens, de leurs crimes, se sont fêtés,
Nous ramassâmes de parterre nos amours mortes
Des corps enlacés, des moignons d'enfants retors,
Pour les mettre en terre comme ils auraient aimé l'être encore
Et faire place nette à d'autres guerres si civilement menées.

© 2008 Marwan Elkhoury

Demain

Demain le soleil brillera à nouveau
Pour éclairer de ses rayons dorés
Le chemin que je dois suivre
De chaos en chaos

Demain le soleil brillera à nouveau
Pour brûler de ses feux ardents
Cette terre que j'arpente
Ravagée par les dieux et minée de leurs fléaux

Demain le soleil brillera à nouveau
Pour réchauffer un coeur meurtri
Sorti de l'enfer des paradis
Pour jouir des paradis de l'enfer

Demain le soleil brillera à nouveau
Du levant au couchant
Nous n'aurons nulle part où aller
Mais nous continuerons à marcher
Jusqu'à l'extinction de tous ces feux

Demain le soleil brillera à nouveau
Pour nous redonner la folie
Et nous sauver de notre humanité.

© 2008 Marwan Elkhoury