Wednesday, 6 July 2005
Lettre A Pierre
Je t’ecris cette lettre en ce jour,
Car, jamais, avant ce jour,
Nous n’avons pu t’en parler,
car, Jamais, o grand jamais,
tu ne t’es plaint du mal
qui te rongeait
insidieusement, inlassablement et irrevocablement
car Jamais, o grand jamais,
tu n’as dit : j’ai mal
Jamais nous ne pouvions savoir
Combien tu souffrais
Et nous avons souffert de ne pouvoir
ni partager ta souffrance
ni te soulager.
quand, au telephone, du caire, de geneve, de paris ou d’ailleurs,
nous te demandions comment tu allais,
tu nous repondais : ca va
un ca va qui cachait tout pour ne rien avouer.
un ca va qui refusait de ceder,
Jusqu'à ton dernier souffle, a nos questions, tu repondais, ca va.
Nous faisions semblant d’y croire,
nous faisions comme si,
comme si ca allait,
Et nous nous en contentions
puisque c’est ce que tu disais,
puisque c’est ce que tu desirais
nous jouames le jeu
meme si le jeu nous faisait mal,
et que le jeu nous dechirait.
Nous jouames le jeu
pour que tu y croies aussi un peu,
car Jamais tu ne t’avouas vaincu,
jamais tu ne baissas les bras,
a tel point, que, tous,
nous pumes croire au miracle, sinon d’une guerison prochaine,
du moins, d’un report indefini
Du moment ultime ;
Petit a petit,
le mal fit son chemin
sans jamais que tu ne dises : j’ai mal
sans jamais que tu ne te plaignes
croyant, par ton mepris et ton denis,
le terrasser avant qu’il ne te terasse,
esperant retourner le mal contre lui-meme,
pour qu’il se morde la queue,
et te redonne la vie ;
tu etais trop lucide pour l’ignorer
mais tu faisais, comme si,
comme si , en l’oubliant,
tu pouvais le vaincre
mais le mal s’installa pour ne plus te lacher.
Tu as reussi, pour un temps,
par ton obstination, ton courage, ton flegme et ta derision,
a nous faire croire a tous, le mal circonscrit
Dans les limites du tolerable,
a nous faire croire que le mal,
Jamais, o grand jamais,
n’aurait prise sur toi.
Mais le mal a gagne et nous t’avons perdu.
La perte est immense.
Tu es tout simplement irremplacable.
Tu etais tout pour nous,
Le pere, le frere, l’ami et le confidant,
Clef de voute de notre edifice,
Maitre-a-penser et maitre tout court,
Grand batisseur de villes, de cathedrales, de palais et de belles demeures,
Pour rapprocher les dieux des hommes et les hommes des dieux,
Visionnaire et prophete dans un monde de mecreants,
Dans un pays ne tolerant qu’intolerance et violence,
Fou d’esthetique et de beaute, comme d’autres sont fous de dieu,
Faconneur des belles formes et de lignes en porte-a-faux,
Modulant les espaces suivant la regle d’or,
qui, a leur tour,
Moduleraient les esprits qui y vivraient autour,
Tu es l’intelligence, la tolerance, le raffinement,
Amoureux du mot,
le mot juste, et jamais un de trop,
Tu souffrais de l’incurie de nos administrateurs,
Pour qui l’espace n’etait qu’affaire de gros sous,
saccageant, pillant et polluant a merci,
comme si l’espace etait illimite
et leurs actes sans importance.
Esthete jusqu'à ton dernier soupir,
Entoure de ton fils aine et de ta fille,
Sur ton lit de mort, et dans un dernier rale,
Entre ciel et enfer,
Entre conscience et inconscience,
Tu repris crayon et papier calque,
Pour dessiner ton ultime demeure,
L’urne effilee d’albatre
Ou reposeraient bientot tes cendres grisatres.
Tu nous as montre la voie
Seras-tu a ton tour suivi,
seras-tu ecoute ou vite oublie ?
Je ne le sais.
Les libanais, constants dans leur inconstance meme,
capable de beaucoup mais surtout du pire,
ne retiennent-ils du monde que ce qui leur rapporte ?
Ne seraient-ils plus sensibles au beau ?
Comme s’ils ne savaient pas que le beau
Aussi ‘rapporte du revenu’ ?
Ce qu’il y a de sur,
C’est que tu restes,
A jamais, et pour toujours,
Vivant pour nous, parmi nous et avec nous,
Un exemple d’humanisme et d’amour
Un exemple de courage et de bonte
Un exemple de vie, d’abnegation et de generosite
Un tres grand parmi les grands,
Trop a l’etroit dans ce Liban
etrique, divise et mine,
Ce Liban qui t’a si souvent decu mais que tu as tant aime,
Te trouvant plus a l’aise dans les grandes capitales que dans les petites,
mais revenant toujours
a ce havre de paix que tu avais su créer et preserver,
malgre orages et tempetes,
havre de paix qui soutint vingt ans de guerre,
havre de paix qui soutint bombardements, invasions et terreurs,
havre de paix qui perdurera lontemps encore,
tant que ton esprit,
l’esprit de Pierre,
esprit des pierres,
restera vivant parmi nous.
C’est peu dire que te dire que nous t’aimons,
Nous te le disons quand meme,
Te dire merci,
Merci Pierre.
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